Frères d'enchantement – extrait

Chapitre I

Traque et dualité

Où est-ce que tu te caches ?
Je cours dans les rues malgré le tumulte qui règne autour de moi, je le cherche du regard. Il n’y a plus foule, dehors ; les gens se calfeutrent à l’écart du centre-ville, certains ont même rejoint les fermes de la campagne environnante. Les citoyens ont compris que Ljuka ne s’attaquerait pas directement à eux. Sa seule cible, c’est la haute société, et toutes les Institutions qui la constituent ; comme la Cour de justice, dont j’ai vu la fine coupole de verre se briser sous la pince d’une mante religieuse géante. Les trois monstruosités de métal, dont l’insecte fait partie, sévissent toujours derrière moi, Ljuka les manipule à distance. J’entends des fracas assourdissants, la fumée et la poussière s’élèvent dans le ciel crépusculaire. C’est à peine si je distingue l’éclat rouge de la lune fendue, à travers les panaches gris qui enveloppent la ville. Je dois pourtant le retrouver, cet abruti congénital ! Il était obligé de nous entraîner dans sa parano ? Nous devons l’arrêter avant que ses monstres détruisent tout !
Où est-ce que tu te caches ?
Tu as vu ce que tu as fait ?!
Je perçois à peine le grésillement chuintant et régulier, à travers le lien qui nous unit. Ce lien vide depuis tant de mois, oserais-je dire tant d’années. Je me doute qu’il ne répondra pas, je ressens son animosité, toujours plus aigre et obscure. J’ai longtemps espéré le ramener de notre côté, et peut-être qu’une partie de moi y croit encore ; mais avouons-le, c’est utopique, c’est impossible. Il est carrément décranté de l’engrenage ! Il a dépassé les limites !
— Rentrez chez vous ! Ne restez pas là ! crie un homme, très proche.
C’est la voix d’un collègue milicien. J’entends ses pas et ceux des autres résonner dans les rues adjacentes.
Cet imbécile de Ljuka demeure introuvable, mais il doit pourtant être là. Il ne peut pas s’éloigner trop d’Aptenja s’il veut garder son enchantement actif. Une seconde d’inattention de sa part suffirait aux Maîtres pour lui voler le contrôle de ses abominations. Alors non, il ne peut pas nous échapper !
Tandis que j’inspecte activement les coins sombres, un mouvement attire mon attention vers une autre ruelle. Au pas de course, je vire à droite et je contourne les plus vieilles demeures du centre-ville, qui ont déjà perdu leur superbe. Leurs élégantes façades en métal nacré, aux arabesques dorées, aux perles ou mosaïques éparpillées, sont maintenant couvertes de suie et de poussière. Quelques balcons et dentelles d’ornement ont été arrachés dans le sillage des immenses animaux. La saleté se remarque moins dans les rues commerçantes où je débouche, les maisons y sont plus rudimentaires, en bois ou en pierre. De nombreuses façades ont souffert le long de la grande avenue au dallage meurtri. Je bondis par-dessus un pan de toit qui me bloque la route, continue tout droit, puis je l’aperçois. Il file à travers la rue enfumée, silhouette maigre et floue dans sa cape noire.
— Il est par là ! Il est là ! crié-je à mes collègues, sans être sûr qu’ils soient à portée de voix.
Ljuka se retourne, il savait déjà que c’était moi, percevant ma présence mentale tout comme je ressens la sienne ; et il connaît ma ténacité. Alors qu’il disparaît en tournant dans une autre ruelle, je me dis que je vais bientôt l’avoir. Mes poumons et mes yeux me piquent, avec toute cette fumée provenant du centre, mais je n’ai pas le temps de m’en préoccuper. J’accélère malgré la toux qui me prend. Je veux l’attraper, cet abruti, et lui montrer qu’on ne s’en sort pas aussi facilement après un tel coup de folie.
Lorsque j’arrive enfin là où il s’est dirigé, plus personne ; la rue est seulement jonchée de débris de bois, de verre et de murs. Les visages inquiets qui scrutent nos mouvements par les fenêtres font parfois un signe du menton pour m’encourager. Tenant un pan de ma cape blanche devant mon nez, je continue ma course en regardant partout. Ljuka m’apparaît alors entre deux cheminées, à la lueur des projecteurs allumés sur le centre-ville qui percent la nuit tombante depuis les toits. Il a grimpé pour aller plus vite, le paria ! Pour prendre les raccourcis que l’on connaît bien. Mais je vais le coincer !
— Il est là ! répété-je, en espérant voir bientôt arriver les renforts.
J’avise la première fenêtre venue et je saute pour m’y agripper, je monte à mon tour. Grâce au tuyau d’évacuation des eaux à l’angle du mur, j’escalade la boutique d’un chapelier en posant mes pieds là où je peux, sur les jointures et les bordures de fenêtres. Je manque de glisser par deux fois dans ma précipitation, mais je me hisse rapidement sur le toit.
De là, les dégâts infligés par les monstres sont impressionnants et me tétanisent quelques secondes. Je vois l’aigle métallique qui fonce en piqué vers la troisième Tour de recherches, à peine plus imposante que lui. Il perce le flanc du bâtiment telle une flèche puis ressort de l’autre côté, m’arrachant un frisson d’effroi. Des morceaux entiers de murs et de colonnades se détachent dans un craquement, puis la poussière enrobe l’édifice, qui tient encore miraculeusement debout. Non loin, l’ours m’apparaît flou à travers la fumée. Légèrement plus petit que ses compères, cela ne l’empêche pas de transpercer la Demeure du Conseil d’un coup de griffe. La mante religieuse se dirige quant à elle vers la Grande académie, à l’ouest d’Aptenja. Quelques personnes tentent de l’escalader, sûrement des Mécanistes auxquels on a demandé de désincruster les automates des pierres qui les animent. Malheureusement, les ronces végétales implantées dans l’insecte géant les attaquent, et ils tombent en hurlant. Je détourne le regard, un nouveau frisson me nouant l’estomac. Si l’on ne peut arrêter ces monstres, reste à capturer le paria qui les dirige ! Ce parano décranté qui a eu la brillante idée de détruire la moitié du centre-ville pour assouvir ses frustrations, et qui parcourt la zone commerçante en bondissant sur les toits. Quel cinglé ! Il croit pouvoir s’échapper ?!
Je me relance à sa poursuite, mais j’ai du mal à garder mon équilibre. Ljuka a toujours été le plus agile sur les toits, quand j’avais l’avantage dans les arbres. À chaque saut, il atterrit tout juste sur les corniches des boutiques, puis glisse sur les ardoises pentues et continue dans les larges gouttières. Ses chaussures résonnent sur le métal. Il se dirige vers les quartiers mécanistes, et vers la forêt qui s’étend juste après. Trois ruelles nous séparent encore.
Je serre les dents en sautant sur un nouveau toit. J’ai beau regarder autour de moi, en prenant garde de ne pas tomber, je ne vois plus mes collègues miliciens. J’ai pourtant crié plusieurs fois pour qu’ils me rejoignent. Et s’ils ne nous ont pas déjà vus, ça ne devrait plus tarder. De toute façon, seul ou avec eux, j’arriverai à rattraper cet énergumène. J’en ai maté d’autres avant lui !
La moindre des choses est qu’il répare son outrage. Et après, il dégage ! À l’exil, comme tout paria. Il n’a jamais voulu comprendre, il s’est retourné contre nous, il nous a attaqués… C’est sa faute, il n’a que ce qu’il mérite !
Nous arrivons vers les bicoques et les usines des quartiers mécanistes, après la ceinture commerçante, en bordure d’Aptenja. Ljuka en profite pour bondir sur les auvents ciselés des habitations. Puis il slalome entre les cheminées cuivrées, sur le toit d’une grosse industrie. Ses bras effleurent les hautes colonnes, dont il se sert pour s’élancer toujours plus loin. Il arrive même à courir sur les rebords crénelés des toits mécanistes sans se faire mal. Pour ma part, j’essaye de les éviter, mais quelques uns m’arrachent quand même des grimaces, à presque transpercer mes semelles, et surtout à me déséquilibrer. Je manque de tomber alors que je me rapproche du fuyard.
Saleté de rouillure, tu crois que tu vas m’échapper !?
Quand il se tourne soudain pour évaluer ma progression, je remarque que sa peau d’ordinaire laiteuse a pris une teinte violacée au niveau du cou, la même que les mèches constellant ses cheveux. Sa rancœur demeure toujours aussi vivace, comme en témoigne cette couleur éclatante. Je la ressens légèrement à travers notre lien. Pour avoir longtemps essayé de lui ramener un peu de bon sens, je sais qu’il est indomptable. Il reste borné, buté, il croit avoir raison sur tout et tout le temps ! Mais là, il ne pourra pas nier avoir attaqué Aptenja de plein fouet, et tué des civils dans sa folie, juste pour ses idées douteuses et stupides.
Je serre les poings pour contenir mon irritation, tandis que Ljuka descend sur un toit plus bas et saute à terre. Loin de me décourager, je fais de même. J’atterris assez lourdement sur la route sablonneuse qui mène vers la sortie de la ville.
— Ensio ! entends-je, à bonne distance derrière moi.
— Je suis là, je l’ai trouvé, vers la forêt ! crié-je en me retournant.
Je ne vois encore personne, mais les autres miliciens nous ont repérés et ils suivent la bonne direction. Je reprends ma course pour éviter de trop me faire distancer.
Lorsque Ljuka arrive en lisière de la forêt, je retire mon bâton du fourreau accroché dans mon dos et le pointe vers lui. La pierre de rhod incrustée au bout s’anime d’une lueur rose pâle, signe qu’elle sera bientôt déchargée. Sa vibration naturelle crépite un instant juste au-dessus de mes yeux, et glisse le long de mes liserés crénelés jusqu’à mes oreilles. J’y ressens également l’impulsion qu’émettent les arbres de la forêt, naturellement plus grave. Sous mon contrôle mental, la vibration de la rhod évolue pour imiter celle des arbres, que je peux alors manipuler. Je manie quelques branches pour ralentir Ljuka, l’obliger à des détours et à se baisser. J’en profite pour accélérer ma course, attrapant une liane qui m’élance à travers la forêt. Je retombe assez près de mon ancien ami pour lui sauter dessus. Nous roulons quelques secondes, et j’ai le réflexe de lui envoyer un poing dans la figure pour éviter qu’il se rebelle. Je sais qu’il le ferait, buté comme il est, déterminé et sans peur. Une vraie tête de golem !
— Tu es en état d’arrestation !
Je saisis ses bras, tandis qu’il joue des épaules pour essayer de se dégager. Mais à ce jeu-là, c’est moi qui gagne, étant à la fois plus fort et plus athlétique.
— Lâche-moi ! grogne-t-il, sans me regarder.
Je le sens très irrité, à travers notre lien ; et je ne suis pas loin de ressentir la même chose, mes doigts sont aussi bleutés que les siens sont mauves. Nos yeux se parent également d’une couleur éclatante.
— Tu devrais te rendre, pour ce que tu as fait. De toute façon, mes collègues de la Milice arrivent.
— Vous ne comprenez rien ! Vous ne voulez pas écouter ! Mais vous avez faux, sur toute la ligne, vous avez faux !
D’un geste plus violent, il réussit à libérer un bras, puis me porte un coup au thorax, que j’esquive de justesse. Je tente de rattraper son poignet, mais Ljuka me lance son pied dans le genou et transperce ma main avec une lame qu’il cachait dans son bracelet. Figé quelques secondes par la surprise et la douleur, je repars à sa poursuite en réprimant une grimace. Il court vers le nord pour quitter la forêt, sachant que j’y ai l’avantage ; néanmoins, il peine à me distancer comme il l’espérait. J’essaye de réfréner mon énervement pour tenter une approche plus engageante.
— Lju…
— Reste avec tes amis petits Maîtres, je t’ai déjà dit de ne plus venir me parler ! assène sa voix métallique via notre lien télépathique.
Le grésillement habituel a fait place à ses mots hargneux, que je n’entendais plus que rarement dans ma tête. Cela réveille en moi une vieille lassitude, quelque chose entre la nostalgie et le dépit.
— Je peux intercéder en ta faveur, si tu…
— Ah, laisse-moi rire ! Le célèbre Ensio, le grand Maître-Initiateur et milicien veut aider son pauvre vieil ami devenu paria. Pour plaider la folie, j’imagine ! Hein ? Tu vas leur dire que je suis fou ! Que je suis parano, comme tu le dis si bien ? Tu l’as toujours pensé…
— Ce n’est pas ça, je…
— Tais-toi, tu me dégoûtes !
Alors que j’aimerais lui renvoyer une réplique cinglante, mes mots se perdent à travers le fouillis de mes pensées. Nous n’avions pas eu tant d’échanges depuis longtemps, et ma blessure me déconcentre. Mais s’il n’a pas tort, il ne se rend pas compte qu’il commet les pires choix. Maintenant, il détruit tout, oui, alors comment croire qu’il est encore innocent ? Il le sait, c’est ce qu’il voulait, détruire les symboles de notre société, l’objet de sa colère, et nous déstabiliser avec ses monstres hybrides de métal et de matière organique. Il est dangereux, il ferait n’importe quoi pour nous prouver qu’il a raison. Quand je disais buté… Et pour preuve, il m’a mutilé la main gauche, cet abruti !
J’active mon bâton une fois de plus. Ljuka arrive près de la lisière où se trouvent les premières fermes, je dois l’avoir avant qu’il sorte de ce terrain de chasse idéal. Les racines s’élèvent pour faire trébucher ma proie, qui s’empêtre en essayant de se relever, jure entre ses lèvres. Je sors mon arme, dont j’espérais ne pas avoir besoin, et la pointe sur mon ancien ami. En entendant le déclic caractéristique, il se fige. Cette fois, il est à portée et je ne peux pas le louper, l’arabesque dorée qui entoure le canon est alignée directement sur sa tête. C’est plus une tentative d’intimidation qu’autre chose, mais ça peut toujours servir. Ljuka tente quand même d’arracher les racines qui le retiennent, tandis que je le fixe, en proie à une profonde hésitation. Il se rue alors vers moi et me frappe de nouveau au genou. La douleur étourdit mes sens, je perds l’équilibre et je me rattrape à lui. Il en profite pour me pousser et repartir au pas de course. Luttant contre la blessure qui m’élance, je constate que Ljuka a bel et bien enfoncé sa lame dans mon genou. J’aurais dû lui exploser la tête, à cet abruti de première ! Je ne sais même pas pourquoi j’ai hésité…
Les autres miliciens ne sont pas encore là, mais il ne doit pas s’échapper. Décidé à lui prouver qu’il perdra, mû par une colère sourde, je me retourne et je tire. Le coup de feu résonne, puis la balle atteint le fuyard à l’épaule droite. Ljuka sursaute en hurlant et m’adresse une grimace menaçante. Je sens au fond de moi qu’il n’a pas aimé ce coup déloyal dans le dos. Il ne pensait pas que j’oserais, il est furieux ; et un regret surgit des tréfonds de mes souvenirs, en écho. Mais je n’ai pas le temps d’y répondre. Arrivé en lisière de la forêt, mon ancien ami sort de sa cape une sphère dorée parcourue de stries géométriques, que je reconnais, pour en avoir moi aussi manipulé. J’ai à peine le temps d’écarquiller les yeux qu’il enclenche l’explosif et le jette derrière lui. Dans un élan de panique, je lève mon bâton pour que des lianes rattrapent l’objet illuminé de rouge avant qu’il m’atteigne. Vite ! Et relancer la grenade vers Ljuka !
Je n’aurais peut-être pas…
L’explosion me souffle d’un coup. Durant quelques secondes, j’ai les oreilles qui sifflent et la vue trouble, des douleurs partout. Mon cœur semble battre directement dans mon crâne. Je pense à Ljuka sans savoir ce qu’il est devenu. J’aimerais qu’il ait été pulvérisé, même si mon regret persistant souhaite le contraire, espère sa survie. La fumée me fait tousser. Je sens une odeur de feu. Je tente de regarder autour de moi, en me relevant malgré la douleur lancinante qui court entre ma main et mon genou… à cause de cet imbécile ! Les premiers arbres de la forêt ont subi l’explosion de plein fouet, des branches et des bouts de troncs s’éparpillent en charpie sur le sol. J’essaye de repérer mon ancien ami, mais la fumée et des vertiges brouillent ma vue. Je boite autant que je peux vers le centre de cette dévastation, le cœur de plus en plus serré. Si j’ai échappé de peu à une mort certaine, je suis presque sûr que Ljuka n’a pas eu le temps de l’éviter ; il n’a sans doute même pas vu que je lui renvoyais son explosif.
En m’accrochant à quelques lianes tombantes pour me rapprocher, je distingue, de l’autre côté du champ, une petite ferme aux fenêtres éclairées. Des silhouettes s’activent à l’intérieur, et un vieillard encapuchonné accompagné d’une fillette se précipite derrière le bâtiment, sûrement pour rentrer se protéger. Je crois même entendre un bébé pleurer. Puis des gens sortent pour traverser rapidement le champ qui nous sépare.
Je m’arrête avant d’atteindre la lisière et je m’écoule au pied d’un arbre. Si la douleur me gêne, quelque chose de plus imposant me met mal à l’aise. Les crépitements des dernières flammes qui consument les arbres s’affaiblissent, mes oreilles ne bourdonnent plus, et une sensation de vide m’envahit. Le silence. Pas à l’extérieur, non, à l’intérieur. Je n’entends plus le sang affluer vers mon crâne, ni nulle part ailleurs. Et j’ai aussi perdu un son familier, me confirmant que Ljuka est bel et bien mort dans l’explosion. Le grésillement continuel qui vrombissait dans ma tête a disparu avec notre lien. Le silence seul répond à mon regret.
J’entends soudain appeler mon nom, au loin. Je crie pour orienter mes camarades, l’esprit encore confus, puis je contemple un instant ma main ensanglantée, cette couleur vive, rouge, sur mes doigts. C’est la faute à cet abruti ! Tout comme mon genou, pareillement meurtri. Sa faute ! Tout comme les dégâts en ville, dont les images éparses me reviennent. La Tour de recherche transpercée, le pauvre Mécaniste tué en escaladant la mante religieuse. Cet abruti et sa parano ! Il nous a attaqués, il a voulu tout détruire avec ses monstres ! Pourquoi est-ce que je le prends en pitié ? Il ne le mérite pas…
Mes oreilles bourdonnent de nouveau. J’ai comme un acouphène, un sifflement aigu et désagréable qui remplace la vibration du lien télépathique à présent brisé. Sa faute aussi, puisqu’il n’a pas coopéré ! Je reste assis dans ma léthargie à subir mon mal de tête, ma vision floue, et à martyriser mon regret pour qu’il retourne dans les tréfonds. Je n’en veux plus. Je n’en ai pas besoin !
Heureusement, mes amis me rejoignent rapidement. Pas assez, néanmoins ; Ljuka était une flèche, comme son aigle de fer. Il aurait eu le temps de filer entre les troncs ou de grimper aux arbres, puis de disparaître avant que mes collègues n’arrivent. C’est pourquoi la victoire me revient, encore. Après de nombreuses autres missions, j’ai réussi à arrêter un paria de plus ! Particulièrement coriace et dégénéré, celui-là !
— Bon travail, Maître Ensio ! me dit Jorgen, après avoir envoyé une équipe constater l’étendue des dégâts.
Le Maître-milicien en chef m’aide à me relever, sur la promesse de soins rapides. Un collègue recruté récemment enroule ensuite un bandage grossier sur ma main, mon genou, puis me tape dans le dos en me félicitant.
— En plein dans le mille, commente un autre en m’attrapant par l’épaule.
— C’était sa grenade, je la lui ai retournée, précisé-je.
Les collègues partis au-devant reviennent vers nous après avoir parlé aux fermiers qui accouraient. L’un d’eux nous tend un long morceau d’étoffe noire visiblement troué par le feu, j’y reconnais la vieille cape de Ljuka.
— C’est tout ce qu’on a trouvé. Il doit être mort dans l’explosion. Les habitants de la ferme ne l’ont pas revu, après.
— Ça ne m’étonne pas, répond notre Maître-milicien en chef. Allez, emmenez-moi ça, et on rejoint le centre ! Ses ridicules bestioles n’en ont plus pour longtemps, maintenant qu’il est mort.
Jorgen tente de me rassurer, affirme que nous allons pouvoir nous détendre maintenant que les ravages sont terminés, mais je l’écoute à peine. Je m’inquiète pour ma femme restée en ville. Le vide se creuse aussi dans ma tête, le grésillement n’est plus là, et son absence me perturbe. Je crois que j’ai besoin de repos, après toute cette soirée à courir.

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