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Gueule de Truie : l’impact des émotions sur la construction de la personnalité

Par Siana, le 17/12/2021

Parfois, on se demande d’où provient la violence. La vraie, la crue, celle qui ne semble jamais avoir de raison et qui tombe sans prévenir, qui fait mal, physiquement ou mentalement. Dans le roman Gueule de Truie, de Justine Niogret, j’ai rencontré un spécimen très intéressant de personnage violent, et de cette cruauté qu’on dirait innée. Alors qu’en fait, elle ne l’est pas… innée. Elle en donne juste l’impression.

Mais du coup, sur quoi peut se fonder la violence ?

Du dogme à la fuite

Gueule de Truie est un inquisiteur chargé de tuer les survivants de l’Apocalypse, sur Terre. Il obéit à des « Pères » qui l’on formé à tuer au nom de Dieu. Il a été plongé dans le dogme dès son enfance. Il suit des règles claires et précises, avec comme seule motivation de finir le travail de Dieu. Pour lui, les êtres humains ne sont que des tas de chair, de la « viande », d’immondes créatures qui ont toutes eu la même vie et qui sont indigne d’intérêt. Autant moralement que physiquement, Gueule de Truie se montre donc violent. Il a un comportement monstrueux. Y compris envers ses propres troupes de soldats.

Mais un jour… un jour, il rencontre une petite fille qui porte une boîte, et celle-ci semble si attachée à son précieux objet que ça l’interpelle. Elle est mutique, mais déterminée, elle semble avoir quelque chose de plus que les autres : une vraie raison d’être, de marcher, de voyager. Cela suffit à Gueule de Truie pour trahir ses Pères et suivre la gamine. Cette décision, il la prend alors qu’il commence à remettre en question sa propre existence, et notamment la raison d’être du dogme qu’il suit depuis l’enfance. On lui a appris que le monde était mort, que plus rien n’avait de valeur ; sauf que les Pères se révèlent finalement faibles, quand « la fille » apparaît lumineuse et sûre d’elle. Alors, Gueule de Truie jure de la protéger jusqu’au bout de son voyage.

Il n’avait juste pas prévu que la réalité le rattraperait…

Découverte des émotions

Gueule de Truie a été formé pour tuer, et seulement pour tuer. Il a donc été éduqué à obéir, réprimer ce qu’il ressent et ne pas réfléchir. Lancé dans le monde post-apo aux côté de la fille (non, elle n’a pas de nom), le voilà en train de découvrir de nouvelles petites choses qu’il ne connaissait pas : les émotions. La première qui lui tombe dessus, et qui va le poursuivre jusqu’à la fin, est la frustration. Personne ne lui a appris à la gérer. Elle accompagne ainsi chacune des autres émotions qui viendront à sa suite. Parce que Gueule de Truie ne comprend pas. Chaque fois qu’une nouvelle émotion émerge, et qu’il essaye de comprendre, il n’y arrive pas. Il se laisse emporter dans un cycle de frustration et de violence.

Cette éducation qui l’a laissé dans l’ignorance de la nature humaine a eu un effet catastrophique sur lui. Il s’est forgé sur l’idée de tuer et sur la violence à laquelle on l’a habitué. C’est devenu pour lui une manière de s’exprimer. Sans connaître les autres émotions, tout est teinté de frustration, de colère, de violence. Même l’amour. Car l’amour fait souffrir, et Gueule de Truie ne comprend ni pourquoi ni comment. Alors pour lui ça ressemble à de la haine. Comme quand ses Pères lui demandaient de se scarifier pour se punir, et qu’il savourait la douleur. La jalousie aussi : de la haine. Le désespoir aussi : de la haine. Et il voudrait parfois que les autres souffrent autant que lui, alors il tourne sa violence vers sa compagne de voyage, il la frappe. Sans avoir conscience qu’elle aussi, elle porte une souffrance personnelle. Il juge constamment, puisque ce qu’il ressent est tellement fort et insoutenable qu’il croit être le seul à le vivre : « Tais-toi, il fait. Tu ne sais tellement rien du chagrin et de la douleur. » Et parce qu’il n’y a personne qui puisse vraiment le comprendre, dans sa situation.

En même temps, ces accès de violence permettent à Gueule de Truie de mieux comprendre qui il est et comment fonctionne le monde. Très introspectif, malgré sa colère, Gueule de Truie apprend beaucoup, il met peu à peu des mots sur ce qu’il ressent, sur ses réaction. Il finit par mettre le doigt sur la jalousie : « Je voulais ta vie, il dit un jour. Pas te tuer ; je voulais être toi. ». Mais ce n’est jamais juste la jalousie, c’est aussi l’envie, le sentiment d’injustice, le désespoir de la réalité. Gueule de Truie est un personnage complexe justement parce que ses émotions ne sont pas tout à fait claires. Elles sont difficiles à saisir, à interpréter, car lui-même n’est pas vraiment sûr de savoir ce qu’il ressent. Le roman est d’ailleurs très introspectif, même souvent flou, métaphorique. Gueule se Truie se cherche, et le lecteur le cherche avec lui.

Au final, Gueule de Truie me rappelle pourquoi j’aime la psychologie des personnages : il y a énormément de possibilités, d’hypothèses qui ne peuvent être vérifiées. Les personnages ont des comportements, des raisons d’être, des motivations, et des liens entre ces éléments. Suite à un traumatisme, deux personnages peuvent évoluer de manière très différente, tout autant que deux personnages à l’enfance différente peuvent aboutir au même symptôme traumatique à l’âge adulte. Et Gueule de Truie ne se comprend pas assez lui-même pour qu’il soit facile à cerner au premier abord. La seule chose de saillante, en plus de sa violence, c’est sa désillusion.
Mais de quoi se nourrit-elle ?

Les désillusions de la réalité

Très ancré, dès le départ, dans ses croyances personnelles (et surtout religieuses), Gueule de Truie peine à reconnaître la réalité qui le frappe de plein fouet durant le voyage. Souvent, il se croit supérieur, faisant preuve d’un narcissisme débordant ; souvent aussi, il sombre dans la violence de la désillusion, et il hait le monde, les autres, ainsi que lui-même. Il veut tuer la fillette, avant de comprendre qu’il lui envie son enfance normale. Si ce qu’il ressent n’est pas clair, ça se rapproche de la jalousie, comme évoqué plus haut. Et ça se rapproche également d’un profond sentiment d’injustice. Parce que lui, enfant, il a été endoctriné et maltraité.

On lui a appris qu’il était différent, et par son pouvoir de tuer, on lui a offert une certaine supériorité. Lorsqu’il rencontre la fille, il croit qu’elle aussi dégage cette supériorité, il a l’impression qu’elle est différente des autres, tout comme lui. Et puis, peu à peu, il apprend à la connaître, et il découvre qu’elle a beaucoup en commun avec les gens qu’il tuait avant. Avec ces humains qu’il trouvait minables et sans intérêt ; ces morceaux de viandes, comme il les appelait.

Et cette réalité qui le rattrape renforce évidemment son seul moyen d’expression : la violence. La frustration née de ses désillusions explose en éclats de colère, en violence à l’encontre du monde et de la fille. Il frappe, il insulte, il rabaisse. Esclave de sa colère, il brise les illusions fragiles que les autres tentent de maintenir pour survivre, pour croire que tout n’est pas encore perdu et que le monde n’est pas vraiment mort. Il entraîne surtout la fille dans sa descente.

Il se gausse dans un délire de supériorité, mais au fond, est-ce qu’il souffre de prendre conscience que la fillette est finalement comme les autres… ou bien, de constater que lui-même n’est pas beaucoup plus différent ? La désillusion d’avoir été trompé par l’autre ou bien par soi-même ? Ici encore, ce n’est pas fixé, mais les deux se valent. Les deux sont douloureuses.

« Maintenant je me demande avec quel couteau je vais couper mon esprit assez profond pour lui apprendre sa faute et la graver en lui. »

Mais peut-être… peut-être que si Gueule de Truie avait été éduqué avec bienveillance, il n’aurait pas sombré dans la violence, ni celle envers les autres, ni celle envers lui-même…

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