Par Siana, le 21/10/2022
L’envie de « trouver son style d’écriture » prend des allures de quête interminable pour de nombreux auteurs. Principalement parce qu’on peut avoir une vision floue de ce que l’on cherche réellement. Après tout, qu’est-ce qu’un « style » ? Ou même : qu’est-ce qu’un « bon style » ?
On pourrait croire qu’il s’agit seulement de faire de jolies formulations, sans fautes d’orthographe, de maîtriser la conjugaison, la ponctuation et la grammaire… Mais souvent, ce n’est pas ça que les auteurs recherchent, c’est autre chose de plus abscons. Ils voudraient plutôt une sorte de « patte » qu’on reconnait en les lisant, et parfois aussi un « style littéraire » avec du vocabulaire complexe et de longues phrases riches.
Tous les auteurs n’ont pas la même vision du style auquel ils aspirent (quand ils savent ce qu’ils veulent, déjà), mais une chose est sûre, tous souhaitent ardemment trouver leur style d’écriture, l’enrichir, ou même juste en avoir un.
Spoiler : j’ai moi aussi cherché mon style, il y a quelques années, et puis j’ai compris que le style ne fait pas l’auteur. J’ai compris aussi que cela revient souvent à se battre contre l’histoire qu’on essaye d’écrire.
Donc, à mon sens, quand on « cherche son style », on se pose la mauvaise question, et surtout, on ne regarde pas au bon endroit…
Le style fait le roman
On peut se poser la question du style durant l’écriture d’un premier roman, mais les vrais besoins du style apparaissent souvent plus tard, soit dès le second roman, soit sur un suivant. Pourtant, elle devrait se poser à chaque nouveau projet, et surtout pas de façon identique !
Pour donner un exemple simple : si vous écrivez deux histoires, un conte de fées pour enfants puis un roman d’horreur adulte, vous emploierez nécessairement un style d’écriture différent. Le public n’est pas le même, le genre non plus ; ces deux textes demandent une attention différente sur le choix du vocabulaire, le niveau de langue, les images à laisser dans la tête du lecteur, etc. Donc le style, ce n’est pas juste l’auteur, c’est surtout le roman qui le conditionne. L’intérêt n’est pas de trouver son style en tant qu’auteur, c’est de trouver quel style conviendra à quel roman. Le meilleur style ne sera ni un « bon style » ni « votre style », ça sera celui qui correspond le mieux à l’histoire.
Quand j’ai écrit « Frères d’enchantement », j’ai choisi volontairement un langage un peu soutenu. Puisque mes personnages sont issus de la haute société, il était logique qu’ils aient un style plus riche que des personnages qui n’auraient pas appris à lire ni à écrire ; d’autant plus à la 1ère personne ! Et j’ai essayé de trouver le bon dosage pour éviter d’en faire trop (un style trop « riche » peut facilement devenir lourd).
Mais choisir le style qui convient au roman est aussi valable pour les narrations à la 3ème personne ! En effet, la fonction première d’un style est de contribuer à immerger le lecteur dans l’histoire. Pas d’être beau, ou riche, ou je-ne-sais-quoi.
Il y a quelques années, alors que je pratiquais la bêta-lecture d’extraits de romans et de nouvelles, j’ai commencé à prêter plus attention au style. J’ai remarqué que certains semblaient mieux choisis que d’autres, et j’ai donc cherché à comprendre pourquoi. Depuis, je dédie très souvent une partie de mes relectures à ce que j’appelle « l’adéquation fond/forme », c’est-à-dire que j’analyse la pertinence du style d’écriture en fonction de l’histoire, je me demande « Est-ce que le style correspond à l’histoire, aux personnages, à l’univers ? ». Dans mes propres projets, je cherche aussi quel sera le style idéal pour chacun.
Alors, trouver le « style idéal » n’est pas forcément évident, on peut se tromper. Comme quand on se retrouve parfois à réécrire un texte au présent pour le mettre au passé ou à changer de point de vue.
Dans tous les cas, chaque histoire a des besoins différents. Si vous ne les écoutez pas, si vous essayez de les ignorer, vous vous retrouverez surement bloqué, au bout d’un moment. Dans le genre de blocage où l’histoire traîne sans que vous compreniez vraiment ce qui manque. (Et c’est là où vous commencez à vous battre contre l’histoire…)
Bien sûr, si vous écrivez toujours dans le même genre, toujours le même type d’histoire, vous n’aurez pas forcément besoin de changer de style, donc une fois que vous aurez trouvé celui qui vous convient, il ne restera plus qu’à le peaufiner tranquillement.
Cela dit, et malgré toute votre volonté à adapter le style de chaque manuscrit à l’histoire, vous croiserez peut-être sur votre chemin quelques… redondances ?
Mais le style fait aussi (un peu) l’auteur
Si cela peut vous rassurer, vous aurez effectivement « un style ». Mais pas exactement comme vous le pensiez. Avec la pratique, si vous écrivez durant plusieurs années, vous remarquerez que vous développez des affinités pour certains styles.
Personnellement, j’ai une tendance aux styles nerveux, vifs et sarcastiques. On me dit parfois aussi que je fais trop de phrases courtes sans verbe (mon péché mignon) et on me reproche surtout des répétitions (ma bête noire, personne n’est parfait !). J’aime bien écrire de cette manière, mais ce style traduit aussi et surtout les types de personnages que j’affectionne. Donc forcément, ça revient de temps en temps.
Et vous verrez, vous aussi, à force d’écrire, ce qui revient dans vos productions, d’un roman à l’autre, d’une nouvelle à l’autre. Mais ce ne sera pas l’équivalent d’un « bon style » ou de « votre style », ça sera juste ce que vous aimez écrire. Peut-être que vous vous prendrez d’affection pour les styles soutenus, ou que vous préférerez éviter les prises de tête grâce au style courant. Peut-être que vous aimerez décrire longuement des paysages ou des ambiances de terreur. Peut-être que vous prendrez l’habitude d’écrire de longues phrases ou des phrases courtes.
Dans tous les cas, attention ne pas vous appesantir dessus, à ne pas en faire votre fierté. A trop vous focaliser sur votre style, vous risquez de vouloir le reproduire dans chaque roman, et donc de ne plus écouter les besoin de chaque histoire, puis de vous retrouver face à cette satanée page blanche. Si vous avez plutôt la fibre architecte (si vous préparez vos histoires avant d’écrire), la question du style se posera comme tout le reste en amont de l’écriture. Si vous êtes plutôt jardinier (si vous écrivez au fil des idées sans préparer vos histoires), vous pouvez vous lancer sans réfléchir au style. Cela dit, quel que soit votre profil, vous vous exposez à deux risques : vouloir coller artificiellement un style à l’histoire (et galérer), bloquer en cours d’écriture en vous demandant si le style correspond bien à l’histoire (et il n’y a pas de secret, parfois il faudra réécrire).
Donc votre style, même quand vous l’aurez trouvé, quand vous saurez mieux le définir, devra toujours rester en retrait. Vous n’avez pas besoin d’y penser. Au début, vous ne parviendrez pas à le « voir », et puis il finira par vous apparaître grâce aux redondances et aux avis des lecteurs. Si ce que vous y trouvez ne vous plait pas, vous pourrez toujours essayer de travailler les points que vous souhaitez. Mais ne cherchez pas à le travestir, cela risque de rendre un résultat maladroit dans lequel vous ne vous reconnaitrez pas. Lorsque vous serez prêt, laissez votre style passer en arrière-plan, et concentrez-vous uniquement sur le choix du style qui convient à chaque histoire. Puis, lorsque vous voudrez également améliorer celui-ci, vous pourrez l’analyser…
Comment améliorer son style d'écriture ?
Mais au fait : qu’est-ce qui définit un style ? Une fois que vous savez à quel mode de narration et à quel temps vous voulez écrire votre roman, qu’est-ce qu’on ajoute pour faire un style intéressant et pertinent ?
Pour vous proposer une liste qui fait sens, je vais vous l’agrémenter d’exemples tirés d’un seul roman. Les derniers que j’ai lus et qui m’ont marquée par leur style particulier, ce sont ceux de la série « Les sœurs carmines », d’Ariel Holz. Je vais donc me baser sur les premières pages du premier tome « Le complot des corbeaux », qui suffisent largement à se faire une idée du style. (D’ailleurs, je vous encourage à aller les lire, si vous avez l’occasion, l’outil « feuilleter » d’Amazon pourra vous aider éventuellement).
Donc, parmi les éléments de caractérisation du style, nous avons :
Le temps de narration : passé
Le mode de narration : troisième personne du singulier
Le niveau de langue : courant, tirant parfois vers le soutenu
Le ton : ironique, moqueur, axé humour noir. Avec des commentaires du narrateur : « aurait mieux fait de rester couché », « pour ne rien arranger », « mais il fallait l’excuser », « difficile de se renouveler », etc. Avec des précisions burlesques et des exagérations : « vêtir les cadavres de couleurs vives […] pour leur donner un petit côté festif », « deux cent quarante-trois cimetières pour une seule ville », « une haine strictement professionnelle », « les jeunes filles en robes blanches arrivaient en troisième position des espèces les plus communes dans les cimetières ».
Le vocabulaire : corbeau, poignard, grisaille, tourment, nuages, brume, ruelles, impasses, gargouilles, vitraux, cathédrales, lampes à gaz, pavés, pluie, sang, morgue, reine, spécimen, saule pleureur, morosité, suicide, pulvériser, pendus, cadavres, couleurs, guirlandes, marbre, stèles, cimetière, automne, croassements, mauvais augure, cliché, abrupt, tué, dentelle, robe, haine, sadisme, cruauté, déviance, asticots
La taille des phrases : alternance de phrases moyennes pour faire avancer l’histoire, de phrases longues pour développer des éléments burlesques, et de phrases courtes pour nuancer ou insister sur ces derniers
Les qualificatifs : argent, rauques, affolés, jamais, scabreuses, malsaines, sinistre, affreusement, mélancolique, festif, pesante, tortueuse
Les descriptions : plutôt variées (courtes et longues, voies active et passive)
Les expressions « régionales » : arbor tragicus, Sépulcre, assurance-mort, rapiécé, monte-en-l’air
Les figures de style : « lui cloua le bec » (utilisé en même temps au sens propre et figuré), « plus sinistre qu’une morgue » (métaphore), « spécimen affreusement mélancolique » (hyperbole), « paresseuse, la brume somnolait » (personnification)
D’autres éléments non présents dans cette liste jouent aussi sur le style d’écriture : la ponctuation, les répétitions volontaires (rimes, assonances, allitérations…), la taille et la précision des descriptions, les dialogues, etc.
L’important n’est pas d’avoir une liste où il ne manque rien, mais de construire un style homogène qui correspond à l’histoire. Tous les éléments ci-dessus s’imbriquent comme un puzzle, où chaque pièce donne du sens aux autres, formant une sorte de fresque qui colore l’histoire d’une manière unique. Chaque élément nourrit et met en valeur les autres, le résultat est clair et harmonieux.
On note aussi que le style des sœurs Carmines est surtout lié à l’univers, car il s’attache à de nombreux éléments du décor, du fonctionnement de la ville, de l’ambiance et des vêtements. Le style se moque aussi, à travers ses formulations ironiques, des idées burlesques ajoutées par l’auteur pour rendre la ville de Grisaille étrange. Donc ici, on peut dire qu’il y a une excellente adéquation entre le fond et la forme, le style sert l’histoire et l’enrichit sans juste « servir à faire beau », il a une utilité, il contribue à donner du sens à l’univers et à l’immersion du lecteur. Mais d’autres styles peuvent se lier davantage à l’ambiance souhaitée ou aux personnages (souvent le cas des romans à la 1ère personne), comme dans le tome 2 « Belle de gris » (É-vi-dem-ment, j’adore Tristabelle !).
Attention à la surcharge, cependant. Le roman analysé ici est très riche en éléments de style. Il est aussi possible d’alléger pour éviter de rendre votre roman brouillon, lourd et décousu. Les éléments du style qui favorisent le plus l’immersion sont sûrement le niveau de langue, le ton, le vocabulaire ainsi que ses qualificatifs. Choisir 3 ou 4 éléments de style pour commencer peut être suffisant, les autres se mettront en place intuitivement, par cohérence, et vous ciblerez mieux les « mots qui ne sonnent pas bien ».
Maintenant, n’hésitez pas à analyser le style de plusieurs histoires que vous aimez, et à réfléchir à celui de vos romans. Un style bien choisi contribue à faire une bonne histoire ! Selon moi, c’est un mélange d’inspiration et de technique !
Après, si vous cherchez aussi à enrichir l’intrigue de votre roman, c’est bien sûr possible : rendez-vous sur cet article !
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